Si le Free Cinéma est considéré rétrospectivement comme l’un des mouvements qui influença le plus les cinéastes de l’époque (notamment la Nouvelle Vague), la critique l’a trop souvent négligé… Ce mouvement est né d’un regroupement d’artistes entre les années 50 et 60 – 1968 semblant correspondre à la toute dernière production du mouvement – notamment Lindsay Anderson, Tony Richardson, Karel Reisz et Lorenza Mazetti.
Leur but : créer un mouvement afin de donner une cohésion à leur travail et organiser une programmation unique leur permettant de faire face à la difficulté de diffuser leurs œuvres. Si cela semble opportuniste, ce que Lindsay Anderson confirmera lors d’une interview en décrivant le Free Cinema comme un label de commodité, il s’agissait de s’opposer à un mode de production et de diffusion embourgeoisé et traiter des problèmes sociaux de l’époque avec un regard politique… autrement dit créer « un large fossé entre l’ancien et le nouveau » pour reprendre les mots de Jonas Mekas.
Cette programmation, au début du mois de février 1956, a connu un tel succès (plus de 6000 personnes sur quatre jours dont des personnalités de la presse et du cinéma) qu’elle fut augmentée de cinq séances s’étalant jusqu’en 1959 constituant le corps du mouvement. Les programmations, principalement constituées de films anglais (des documentaires pour la plus part), se doubleront de films venus de toute l’Europe (notamment la Pologne avec Walerian Borowczyk ou la France avec Georges Franju).
Toutes ces œuvres ont des points communs évidents : centrés sur le quotidien des classes populaires , elles mêlent le réalisme à un point de vue subjectif et s’assujettie de la lourdeur des tournages en studio pour filmer la vie telle qu’elle est dans les rues de Londres, usant de tous les problèmes techniques comme d’une force créatrice. Ces quelques mots extraits du Manifeste du Free Cinema en exprime mieux l’essence :
« Ces films n’ont pas été tournés ensemble : ni même dans l’idée de les montrer ensemble.
Mais quand ils ont été achevés, nous avons trouvé qu’ils avaient des attitudes en commun.
Implicitement, leur attitude partageait une croyance dans la liberté, dans l’importance des gens et dans la signification du quotidien.
En tant que cinéastes, nous croyons que
Un film ne peut être trop personnel.
L’image parle. Le son amplifie et commente.
La taille est sans importance. La perfection n’est pas un but.
Une attitude signifie un style. Un style signifie une attitude. »
Marchons sur Aldermaston est un des derniers documentaires du programme Free Cinema. Réalisé en 1959 par Lindsay Anderson & Karel Reisz, nous suivons la marche de 1958 sur l’Atomic Weapons Establishment pour le désarmement nucléaire. Un rassemblement unique de jeunes parents, chrétiens, athées, adolescents, etc que les cinéastes du Free Cinema n’ont pas manqué. On retrouve dans ce film tardif toute la patte du courant. La voix off y est impliquée, prenant le parti des manifestants avec un « on » sur-présent qui a lui seul casse les règles du cinéma documentaire classique. Une série de gros plans favorisée par une caméra épaule toujours dans la foule : les visages du peuple dominent l’écran.
Et d’ailleurs, qui aujourd’hui se souvient de cette marche ? C’est bien là la force du Free Cinema et du cinéma documentaire en général : donner une chance aux petites histoires populaires de laisser une trace dans la grande Histoire officielle…